Comprendre ce qui se passe en Syrie est essentiel

Le sujet conduit à toutes les fantaisies et toutes les interprétations, en témoignent les peurs légitimes ou non qui agitent la France, les musulmans et le monde dans son ensemble. La question est effroyablement complexe et les explications, de ce fait, dans les médias et chez nos politiques, où la concision est nécessaire, sont souvent ténues.

J’ai pu m’en apercevoir lors d’une conférence donnée à l’Ecole Normale Supérieure par Alain Frachon, journaliste qui a officié au Monde et qui a été correspondant de nombreuses années à Jérusalem, Pierre Razoux, historien spécialisé dans les conflits contemporains et les relations internationales et Pierre Conesa, haut fonctionnaire et praticien des relations internationales et stratégiques et qui a longtemps officié au Ministère de la Défense, autrement dit, trois hommes qui étaient là pour tenter de déminer l’épineux sujet. Je vais tâcher de faire la synthèse de leur propos, qui me semble essentiels en y ajoutant mes propres connaissances sur le monde arabo-musulman. Il est possible que je fasse quelques approximations. Ne pas hésiter à me les signaler.

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  1. Tout a commencé en 1979 

Cette date est majeure. Elle correspond à la révolution iranienne et à la chute du Shah d’Iran au profit de  l’Ayatollah Khomeini. Il s’agit d’un nouveau régime théocratique musulman. Mais surtout d’un régime chiite, la seconde branche la plus importante de l’Islam. Or, la grande puissance sunnite et qui déteste les chiites, notamment ceux implantés sur son territoire, c’est l’Arabie Saoudite. Voilà longtemps que les deux pays sont rivaux.

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La révolution irannienne en 1979

Cette date c’est aussi celle la guerre en Afghanistan, menée par les Soviétiques et dont Oussama Ben Laden se fait un des adversaires les plus tenaces. Encore jeune Saoudien, influencé par le wahhabisme – une ramification du sunnisme qui régit la vie politique et sociale de l’Arabie Saoudite, et qui est considérée comme particulièrement radicale – il est approché par des autorités saoudiennes pour organiser la guerre sainte contre les soviétiques mais aussi contre l’influence grandissante de l’Iran chiite. Il sera par la suite, dans un contexte de Guerre Froide, soutenu indirectement par les puissances occidentales. C’est l’émergence des moudjahidine (combattants de la foi) qui appellent au djihad (la lutte) mais un djihad armé, et surtout de l’islamisme, la traduction politique de l’Islam, bien plus important que le panarabisme et le communisme qui étaient alors les idéologies dominantes dans la région.Les Soviétiques, on le sait, se cassèrent les dents en Afghanistan. Ils n’arrivaient plus à être décisif dans une région connue de longue date pour son insoumission. L’erreur sera refaite par les Américains 30 ans plus tard.

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Les moudjahidine afghans dans les années 80

En 1979, également, Saddam Hussein renforce son pouvoir en Irak, Irak qui est également la grande rivale de l’Iran voisine. Hussein est sunnite, il veut le pouvoir. Il lâche la Syrie, alors amie pour ne pas avoir un allié encombrant, alors qu’il est de la même branche politique que les syriens au pouvoir, le parti Baas. La Syrie, qui est alors aux mains du père de Bachar El-Assad trouve un nouvel allié, l’Iran, d’autant plus que le régime syrien est chiite alaouite, cela ne pose donc pas de problèmes confessionnels. Mais surtout, c’est pragmatique. L’Iran cherche un débouché vers la Mer, que la Syrie lui offre et surtout, elle peut se rapprocher de la communauté chiite du Liban, restée fidèle au régime iranien. Ces chiites libanais sont incarnées notamment par le Hezbollah, jouant aujourd’hui un rôle majeur dans le conflit.

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Le Hezbollah libanais

2. La guerre entre l’Iran et l’Irak

Ce conflit méconnu est déterminant pour l’équilibre de la région, une guerre qui dura plus de sept ans et s’étala sur toutes les années 80, faisant près d’un million de morts, une guerre inutile qui plus est puisqu’elle conduit à un statu quo. Hussein ne peut tolérer la montée en puissance du régime chiite de Khomeyni. ll tente alors de le déstabiliser, en vain.

3. La guerre du Golfe : déstabilisation de la région

En 1991, la Guerre du Golfe sonne le glas des vélléités de conquête de Saddam Hussein qui avait entrepris de conquérir le Koweit. Cela fait suite en fait à la guerre qui venait d’opposer l’Iran et l’Irak. Les Irakiens considéraient le Koweit comme faisant partie intégrante du territoire irakien, prétextant que l’indépendance de ce petit Etat était le fait d’une entente illégitime entre Britanniques et pays arabes. A cela s’ajoute le pétrole, qui profitait à l’Arabie et au Koweit et qui mettait en difficulté le régime de Hussein. Ne respectant pas les règles de quota pétrolier, le Koweit provoquait l’Irak qui n’attendait que ça pour entrer en guerre. S’ensuivit un conflit d’une rare intensité, où une coalition de 34 pays, sous l’égide des Nations Unis battait l’armée irakienne en quelques semaines. Les conséquences ? Une série de sanctions pour l’Irak, exsangue. Kurdes et Chiites, armés par les coalisés furent massacrés par le régime irakien pendant le conflit. On notera dans cette coalition la forte participation des pays du Golfe et de la Turquie. Cela aura son rôle par la suite. Isolé, Hussein parvient à se maintenir cependant au pouvoir.

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Un Soldat américain en Irak en 2003. REUTERS/Yannis Behrakis

2003 marque la chute du régime, puisqu’une nouvelle offensive coalisée – à laquelle la France avait refusé de participer (discours de De Villepin à l’ONU en 2003)- précipite dans le gouffre le pays. Cette fois-ci les arguments pour légitimer la guerre sont beaucoup plus douteux. Profitant de violations des sanctions par Saddam Hussein, de la situation dramatique des minorités kurdes et chiites du pays et souhaitant stabiliser une région où le pétrole reste encore essentiel, les Etats Unis renverse le régime et tente d’installer une démocratie, avec à leur tête un gouvernement chiite. Les Kurdes obtiennent une région autonome, notamment militaire, au nord du pays. Le problème de ce conflit, c’est l’interventionnisme de l’Occident, qui s’est mêlé de la politique moyen-orientale pendant plus de 20 ans et aussi son incompréhension des enjeux de la région. La démocratie ne pouvait fonctionner que par un gouvernement de coalition sunnite-chiite mais les USA n’y sont pas parvenus. Ne touchant également pas aux frontières, qui sont pour les Américains essentielles, mais qui sont un vrai problème, notamment pour les Kurdes, le conflit ne résolvait rien. L’Iran devenait maîtresse de la zone, sans avoir participé aux combats. Elle pouvait à présent exercer son influence sur les chiites irakiens et soutenir les répressions sanglantes qui allaient s’en suivre.

4. Les révolutions arabes

En 2010 éclatent les premières manifestations en Tunisie puis rapidement dans de nombreux pays arabes. Il s’agit de se libérer souvent de dictatures plus ou moins masquées (En Egypte, en Tunisie, en Libye mais aussi au Bahrein ou au Yémen par exemple). Il s’ensuit une destabilisation de l’ensemble de ces pays. L’Arabie Saoudite est elle-même menacée, la Lybie est en proie aux séditions et aux exactions, l’Egypte s’en remet à peine et la région a laissé place à une myriade de groupuscules islamiques plus ou moins extrémistes. C’est dans ce contexte qu’éclatent des troubles en Syrie, troubles qui vont donner l’occasion à des organisations terroristes de semer la terreur et de légitimer leurs actions.

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Manifestion en Egypte, Place Tahrir

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5. Le djihadisme mondialisé 

Il nous faut faire un petit retour sur le djihadisme, ses motivations, son organisation. En effet, il est nécessaire de sortir de l’ornière occidentale sur le sujet et de ne pas confondre les termes. Islamisme ne signifie pas djihadisme, djihadisme ne signifie pas non plus terrorisme. La dénomination des termes est délicate. Mais les comprendre c’est comprendre ce qui agite aujourd’hui l’Islam et ce qui la menace car avant d’être une problème pour les occidentaux, le terrorisme islamiste est une menace pour les musulmans, notamment pour le sunnisme dont il se réclame et dont il dévoie le message. Si l’Occident est bien l’ennemi qu’ils voudraient abbatre, ces groupes n’en n’ont pas les moyens, fort heureusement, si ce n’est tenter de déstabiliser par des attentats, pour provoquer l’affrontement, voire la guerre civile au sein de nos pays. En réalité ces mouvement ont déjà forts à faire avec les pays musulmans qui refusent de se plier à leurs injonctions.

Nous avons déjà vu comment a émergé Al-Quaida. Ces mouvements djihadistes trouvent leurs origines dans le salafisme, un mouvement religieux sunnite qui veut revenir aux fondements (uniquement se baser sur le Coran et la Sunna (pour plus d’infos, cf. lexique en fin d’article). Le salafisme peut être prédicatif ou armé comme les djihadistes. Ces derniers sont en lien avec les Frères Musulmans (cf. lexique) dont ils partagent la doctrine politique. Mais il faut remonter encore plus loin pour voir d’où viennent ces mouvements. D’Arabie Saoudite essentiellement. Ben Laden était Saoudien et il a largement été influencé par une branche radicale du sunnisme, le wahhabisme, confondu avec le salafisme, considéré d’ailleurs comme sectaire par les sunnites, et combattu par les musulmans au 19ième siècle. Néanmoins le wahhabisme est devenu, avec l’ascension de la famille Saoud dans l’immédiate après-guerre le principal mouvement religieux en Arabie. Son radicalisme, on le connaît : charia, droits des femmes bafoués, et c’est un véritable problème. Seulement, encore une fois, être wahhabite ne fait pas de vous un terroriste. Le djihad armé reste rare mais est soutenu par les croyants de cette branche.

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Protection contre Pétrole, la doctrine signée en 1945 par les Saoudiens et les Américains

Le terme djihadiste est lui aussi un terme complexe : djihad c’est la lutte, mais bien souvent cette lutte est simplement conceptuelle, religieuse, plus rarement armée. Là encore, ce terme théologique musulman est à manier avec grande précaution.

Il ne faut pas voir non plus ces mouvements comme unis : ils sont rivaux, souvent s’entretuent (c’est le cas d’Al Nostra et de Daech, les deux étant issus d’Al Quaida). Il ne faut pas croire que leurs objectifs premiers sont les Occidentaux. Il s’agit d’une lutte politique, d’une prise de pouvoir, d’un contrôle de territoires musulmans, en un mot l’islamisme. Leurs premières victimes ce sont les musulmans modérés, pour Daech, traîtres, mauvais croyants. Cela s’applique aussi aux chiites que Daech, sunnite, ne peut tolérer mais aussi à ceux qui refusent de suivre la doctrine wahhabite-salafiste du groupe terroriste. Enfin, une autre caractéristique de ce mouvement c’est son radicalisme : pas d’idolatrie, pas de recueillement excessif, une radicalité et une religion de l’épure. Cela s’est traduit par la destruction de lieux archéologiques (tombeau d’Eve, cimetière de Médine, forteresse et patrimoine ottomans en Arabie, en fait 98% de son patrimoine historique) mais aussi par la destruction actuelle de lieux en Syrie ou en Irak (Palmyre entre autres…) Cette négation de l’histoire est évidemment terrible. De plus elle est cynique, les objets récupérés étant souvent revendus à des musées ou des collectionneurs.

L’objectif stratégique majeur aujourd’hui est de contrer ces groupes, d’empêcher leurs jonctions pour juguler le chaos. C’est exactement ce que fait la France au Mali ou au Niger et prochainement en Libye. Nous reviendrons sur le rôle de la France plus tard. Le problème reste bien l’Arabie, qui est le ferment idéologique du terrorisme islamiste mais qui est aussi un allié. On a fermé longtemps les yeux sur ses implications, pour des raisons stratégiques et diplomatiques et la diplomatie n’est pas la morale, nous le savons, comme le prouve l’implication de l’Arabie dans le 11 septembre 2001 : 15 des terroristes étaient Saoudiens !

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6. Les débuts du conflit actuel

Départ de feu en Syrie

Une révolte des modérés musulmans s’oppose à Bachar El-Assad, dans la lignée des révolution du Printemps arabe.

Assad réagit

Il réprime de manière brutale. La bourgeoisie sunnite qui constituait l’essentiel de la classe moyenne de la Syrie et sa force vive commence à partir.

Les Frères Musulmans entrent dans la danse

A la révolte s’ajoutent les Frères Musulmans, qu’Assad avait muselés des années durant. Ils sont soutenus par la Turquie de Erdogan, son parti politique étant issu de la même mouvance. Les Frères Musulmans prônent un état musulman califale, un royaume musulman en somme, sunnite et anti-chiite.

Une guerre de position, comme en 14

Le conflit se fige. La Syrie de Bachar El-Assad peut compter sur l’Iran qui est son alliée depuis des années, nous l’avons vu. Le Hezbollah libanais entre dans la danse du côté de Assad, car il est le soutien traditionnel des puissances chiites dans la région. Armé et très organisé, il fait valoir ses revendications, fragilisant le Liban, déjà très affaibli. Un front se forme.

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Le jeu terrible des alliances et des poupées russes, comme en 14

Il faut décentré le conflit pour voir que la Syrie n’est que le terrain d’affrontement d’un subtile jeu d’alliances entre grandes puissances régionales. L’enjeu c’est en fait l’Iran contre l’Arabie Saoudite, l’Irak et la Syrie, anciennes puissances étant presque totalement détruites. Deux blocs se forment : d’une part l’Arabie, la Turquie, le Qatar, le bloc sunnite contre l’Iran, le sud de l’Irak et la Syrie de Assad, le bloc chiite. Ce qui n’était à la base, nous l’avons vu, qu’un jeu d’alliance stratégique, militaire et politique, devient une véritable guerre de religion.

L’Irak, situation similaire à la Syrie

En Irak, il se produit la même chose. La population est majoritairement arabe, de confession chiite pour 60% et sunnite pour 40%. On a également une grosse minorité kurde au nord, qui va jouer, nous allons le voir, un rôle déterminant. Le parti Baas, sunnit, qui était auparavant au pouvoir, sous la houlette de Saddam Hussein avait martyrisé les chiites, pour des raisons politiques (s’opposer à l’Iran et pour asseoir le pouvoir). Mais à présent, depuis que les Américains ont porté au pouvoir les chiites, ces derniers, tout naturellement, se vengent. Maliki, qui était jusqu’à très récemment au pouvoir, premier ministre irakien, soutenu par les USA se sentait très proche de Bachar el-Assad. Le gouvernement actuel continue de soutenir le régime syrien. Il n’a pas voulu faire le choix de la concorde et à permis des exactions à l’encontre des sunnites et les Kurdes et malgré les injonctions occidentales, à continuer son exercice de vengeance.

La fulgurante ascension de l’EI

Il n’en fallait pas moins à l’Etat Islamique pour mener la révolte. Au printemps 2014 il commence à occuper le Nord de l’Irak puis s’étend en Syrie. Fort, riche, il met aisément à mal le faible Etat irakien qui lui abandonne des armes américaines et occidentales. L’Etat Islamique – ou Daech ou ISIS en anglais – est soutenu et financé par le monde sunnite, c’est-à-dire, la péninsule arabique. La Turquie est plus partagée mais adopte une politique du laissez-faire. L’EI est d’abord un mouvement issu du wahhabisme- salafiste saoudien. L’EI tourne son regard vers l’Arabie (qu’il convoite) et négocie selon les besoins avec les autres factions  (dont Bachar El-Assad), fonctionnant à la manière d’une entreprise très souple. Il détruit tout (fosses communes, destructions de quartiers entiers, exécutions sommaires). La guerre se radicalise.

Russes et Occidentaux tirent-ils les ficelles ? 

Changeons d’échelle à présent. Au-dessus de ce conflit plâne l’ombre de la Russie, vieille alliée du régime de Damas depuis 1973. Elle a une base à Tartous, sur la façade méditérannéenne de la Syrie, en plein coeur de la minorité chiite du pays. Elle y a à présent une force militaire et une base aérienne. Elle ne lâche jamais ses alliés, ses clients. La Russie de Poutine est obsédée par l’idée de souveraineté. Mais il ne faut pas imaginer que pour les Russes, Assad est irremplaçable. Ce qu’ils veulent c’est d’abord conserver leurs intérêts. La personne leur importe assez peu. La Russie est donc du côté du monde chiite. Elle entretient de bonnes relations avec l’Iran bien que les deux pays soient rivaux. De l’autre côté nous avons les USA et l’OTAN (dont fait partie la Turquie), ainsi que les pays du Golfe, le monde sunnite donc. La France est ce côté également, car très proche du Qatar et de l’Arabie Saoudite.

Ce conflit se déroule donc à trois échelles : à l’échelle locale en Syrie et en Irak, à l’échelle régionale entre Iran et Arabie (monde chiite contre monde sunnite), à l’échelle mondiale entre le bloc occidental de l’Otan et la Russie, même si Occident et Russie sont aussi alliés selon les circonstance. Il ne reste que l’Asie, en dehors de tout ça. Mais il y a fort à parier qu’elle finira par intervenir – nous verrons cela par la suite.

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Le jeu des alliances… ou de la poupée russe

La question des Kurdes est essentielle 

Les Kurdes sont une minorité très importante, peut-être la plus grande nation sans état. Elle représente en effet entre 30 et 35 millions de personnes. Après la Guerre du Golfe, création par les USA d’une région autonome kurde au nord de l’Irak, qui n’a pas été acceptée par le gouvernement irakien. Cette région avait notamment une autonomie militaire. Les relations avec le gouvernement de Maliki ont été exécrables et c’est toujours le cas avec le gouvernement actuel. Le PDK se constitue, Parti démocratique du Kurdistan, le rêve de tout Kurde, celui d’un état indépendant et souverain. Ce parti se lie avec les Kurdes turques, très nombreux pour s’ouvrir vers l’extérieur. Les Kurdes syriens sont, eux, divisés, comme le montre la carte ci-dessous, tantôt avec Assad, tantôt contre lui. Ils se sont organisés au sein du PKK, un parti marxiste-léniniste très discipliné (Parti des Travailleurs Kurdes), considéré comme terroriste par les Occidentaux. La Turquie est elle-même menacée par ces mouvements de sédition car les Kurdes réclament le Kurdistan depuis que les Français et Britanniques leur avait promis en 1918, avec les accords Sykes-Picot, qui contrairement aux idées reçus n’ont jamais pu être appliqué mais qui cependant influencé le découpage régional du Moyen-Orient. Mais voilà, la Turquie kémaliste, en pleine essor, avait repris les territoires kurdes concernés et l’Europe laissa faire, pensant à juste titre que la Turquie laïque de Kémal serait une vraie alliée.

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L’intervention occidentale

Les bombardements des Occidentaux et des Russes ont cassé l’avancé de l’EI qui avait été fulgurante. Les Kurdes d’Irak ont repris tout le terrain pris par l’EI, notamment la ville clé de Sinjar. Les frappes sont cependant trop faibles et l’EI tient ses positions.

Mossoul et Rakka, deux exemples d’une situation inextricable

Mossoul est une ville sunnite au main de l’EI, qui en a fait sa capitale symbolique, une sorte de quintessence du sunnisme. Aujourd’hui la ville a perdu 500 000 habitants, soit la moitié de sa population (les chrétiens, la bourgeoisie et les Kurdes ayant fui). Les milices chiites irakiennes pourraient y aller mais cela ne servirait à rien car sans une coalition gouvernementale qui unirait en son sein chiites et sunnites, la ville retomberait aux mains d’un autre groupe séditieux sunnite et cela recommencerait. Le problème est donc un problème du gouvernance irakienne.

Raqqa est une ville syrienne où la communauté kurde est importante. Les Américains aident les Kurdes à préparer une offensive pour reprendre la ville mais les Kurdes refusent de gouverner et d’administrer la ville, où ce serait impossible pour eux. Cela prouve encore une fois que le problème doit venir des grandes puissances régionales et non simplement des minorités pour tenter d’apaiser l’immense guerre politico-religieuse où s’entremêlent également guerres civiles et révolutions nationalistes. Raqqa reste sous influence de Daech, avec la complaisance de Assad, qui a négocié l’électricité pour la ville contre la conservation d’une partie de son territoire. Cela n’empêche pas les deux factions de s’affronter ailleurs pour autant. C’est l’un des paradoxes de cette guerre.

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7. Conséquences et perspectives 

Doit-on lâcher Bachar El-Assad ?

Il faut savoir que la personne de Assad n’intéresse que peu de monde. Les Russes veulent garder leurs intérêts, qu’importe le dirigeant, pourvu qu’il reste dans l’escarcelle russe. Les Iraniens, qui soutiennent le régime veulent conserver aussi une influence parmi les chiites alaouites de Syrie et également un soutien politique, mais ce n’est pas tellement Assad qui les intéresse.

Bachar El-Assad, par sa politique de répression est de toute façon compromis. Personne n’acceptera qu’un homme qui a exercé de nombreuses exactions sur son propre peuple reste au pouvoir. Il a été soutenu parce qu’il représentait un équilibre dans la région, son régime avait été stable pendant des années. Mais l’avenir, incertain, de la région redistribuera forcément les cartes politiques.

L’Arabie Saoudite, grande perdante ?

Les Saoudiens sont cernés. D’une part, Daech et toutes les organisations qui avaient été soutenues plus ou moins officiellement par les Saoudiens sont aujourd’hui devenues incontrôlables. L’Arabie n’a plus de pouvoir de décision sur l’avenir. Elle est obsédée par l’Iran alors que l’Iran considère l’Arabie comme un ennemi parmi d’autres. L’Arabie, et on en parle assez peu, est aussi elle-même confrontée à des problèmes avec sa minorité chiite qui occupe en fait un territoire où se concentre les puits de pétrole, une vraie bombe à retardement. De plus, la baisse de l’importance stratégique du pétrole pour les Américains et les Occidentaux fait que l’Arabie est fragilisée dans ses alliances. Nous nous tournons davantage vers le monde chiite et l’Iran à présent. Enfin, elle est confrontée au problème du Yémen, un Etat au sud de la Péninsule arabique qui est en pleine guerre ouverte entre des groupes chiites et des groupes sunnites. La situation, très tendue, peut enfler évidemment au sein de la Péninsule Arabique entière. Si l’on regarde une carte, on voit que le monde arabique sunnite est cerné par le monde chiite.La situation au Yémen est telle que ce sont les prochains réfugiés qui viendront en Europe, probablement.

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Daech, une hydre à plusieurs têtes

Daech n’est que la surface d’un iceberg, entouré d’une myriade de groupes plus radicaux les uns que les autres. Là où ils ont réussi c’est à instaurer un proto-état. Ce qui en fait une organisation riche et solide. Mais, leur objectif est d’instaurer un califat, c’est à dire un royaume islamique. Pour cela il lui faut contrôler les lieux saints, qui sont en Arabie Saoudite – le calife est par définition le protecteur des lieux saints. Ce pays qui a initié les mouvements salafistes se trouve lui-même pris à son propre jeu. A présent Daech et Arabie Saoudite se détestent ouvertement.

Daech, désignée comme ennemi par les Occidentaux et notamment par la France n’est pas la seule menace. L’armée française l’a compris puisqu’elle frappe d’autres groupes djihadistes en Afrique notamment. Pour autant, faire tomber Daech ne changera pas la situation de la Syrie, de toute façon condamnée à une guerre longue et meurtrière. Abattez l’EI et un autre prendra sa place.

Le rôle de l’Occident

Il est inutile de pavoiser à ce sujet. D’une part les échecs des Américains à installer un régime stable en Irak, malgré un interventionnisme colossal, d’autre part les conséquences des accords Sykes-Picot  en 1918 (sans parler du rôle de Lawrence d’Arabie) signés par la France et la Grande-Bretagne qui donnaient ainsi la Syrie et le Liban à la France, la Palestine et l’Irak aux Britanniques, des territoires taillés à la serpe et qui ne tenaient pas compte de rivalités internes (sans parler du Kurdistan, l’Etat Kurde promis à cette minorité qui ne l’a jamais obtenu et qui fait tout pour aujourd’hui) sont dramatiques (je fais un court résumé d’accords en fait plus complexe).  La France, qui oublie aujourd’hui de parler de son passé dans la région a donc eu un rôle déterminant à une époque qui peut paraître éloignée mais, en histoire, les peuples n’oublient pas les blessures du passé. De plus, nous avons lâché les Iraniens des décennies durant, eux ne l’ont pas oublié, avec notamment les embargos que nous avons mis en place. Or, aujourd’hui l’Iran est en position de force, surtout depuis que nous nous sommes tournée vers elle depuis l’année dernière.

La coalition occidentale engagée aujourd’hui dans le conflit tend la main aux russes. Mais ce n’est pas si simple car s’allier est bien mais nous sommes détestés. Rappelons que les Russes sont sous le coup d’une Fatwa saoudienne qui incite à les combattre en Syrie. Les Russes sont très mal vus et les Occidentaux aussi et l’idée de la Croisade est une idée insupportable pour les musulmans. Nous ne sommes plus les maîtres du jeu. Les sociétés universalistes que nous sommes, la France imaginant que la démocratie et la paix sont possibles partout, perdent du terrain et ces idées, certes belles, sont aujourd’hui mises à mal. Elles n’ont plus l’influence qu’elles avaient autrefois. De plus, nos intérêts dans la région sont moins importants, notamment pour les Américains pour qui le pétrole n’est plus la priorité. Nous avons échoué à rétablir la paix et  l’équilibre de la région. Il faut rester en retrait, et continuer de bombarder les menaces directes pour avoir notre mot à dire, mais ne pas aller plus en avant dans une guerre dont les enjeux nous échappent. Pour la première fois depuis longtemps le Moyen-Orient est maître de son destin quelque part. Nous ne parviendrons pas à y imposer nos vues. La redistribution des cartes se fera avec l’Iran, la Turquie, la Russie, avec qui il faudra négocier.

La France a son mot à dire mais ne pourra pas être décisive

L’idée de « guerre » invoquée par François Hollande est un mot rassurant mais qui n’a pas de réalité géostratégique. Le conflit ne nous concerne que très indirectement. Il est néanmoins nécessaire à la France de sauvegarder ses intérêts. Elle a prouvé sa capacité à réagir immédiatement mais elle a cependant une capacité de projection limitée car elle est déjà présente sur de nombreux fronts :

  • Opération Barkhane au Sahel où la France combat rebelles et terroristes pour empêcher la jonction de groupes djihadistes notamment.
  • Mission Corymbe au large du Golfe de Guinée : surveiller ce lieu maritime stratégique pour le commerce.
  • Opération Atalante, en Mer Rouge et en Somalie, essentielle pour notre commerce avec l’Asie.

Opération Chammal : celle dont nous parlons aujourd’hui, en Irak et à présent en Syrie.Opération de bombardement, de renseignement, de coordination et de formation pour des groupes rebelles et Syrie et en Irak.

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Ces différentes opérations ont les objectifs suivants :

  • La liberté de circulation à Suez, dans les détroits et en Méditérannée. Il faut également pacifier la Mer Rouge pour rejoindre l’Asie. Cette région est vitale pour l’économie française.
  • Empêcher les groupes djihadistes d’atteindre la mer Méditerranée, l’espace maritime doit être pacifié sinon tout est possible. On s’intéresse notamment à la Libye menacée actuellement et menace par là-même l’Europe.
  • Eviter aux groupes djihadistes de faire jonction car ce serait terrible.
  • Sauvegarder nos intérêts au Liban et en Israel car cela concerne directement nos ressortissants : beaucoup de bi-nationaux. Le Liban est gravement menacé actuellement. Il faut donc surveiller la région. S’il cède il faudra intervenir de manière bien plus forte.

Pour Daech, la France doit agir pour stopper les trafics en tout genre, pétrole mais aussi humains (prostitutions), oeuvres d’art, etc. Il faut couper les trois routes vers l’extérieur de Daech : la frontière turque, la frontière d’Arabie Saoudite et la Jordanie. Mais c’est très difficile et cela ne dépend pas que de nous.

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La France doit négocier. Frapper actuellement permet de mieux négocier. La solution intéressante actuellement pourrait être l’Egypte, un Etat très solide malgré les évènements récents, porté par Al-Sissi qui tend la main aux Occidentaux. Il faudra revoir aussi nos alliances avec les pays du Golfe dont les ambiguités mettent la France dans une posture délicate. Il est cependant clair que nous sommes assez isolés et en cela nos ambitions ne peuvent qu’être limitées. L’Allemagne a consenti a nous aider, les Britanniques agissent également mais l’Europe reste inexorablement divisée. Les USA sont en retraits, et même si les Américains viennent de subir un attentat, il n’est pas sûr qu’ils interviennent plus en avant. L’expérience irakienne reste un échec cuisant et la région est moins intéressante pour les Etats-Unis. De plus, nous avons refusé d’aider les Américains en 2003. A présent nous voulons qu’ils nous aident, et donc, il est compliqué d’obtenir un soutien, malgré celui affiché de façade par Barack Obama. Le changement de président l’année prochaine risque de ne pas changer grand chose. Le concept de Défense Stratégique Avancée, qui est notre doctrine militaire actuelle, est loin de faire l’unanimité au sein de nos partenaires. Un autre enjeu crucial est de résoudre le problème palestien qui alimente une partie de la haine du monde musulman pour les Occidentaux. L’intégrisme juif est terrible et la France est dans une posture paradoxale, du fait de sa communauté juive mais aussi de sa communauté musulmane. Elle doit privilégier la négociation entre Israeliens et Palestiniens. Le souci est de sortir de nos ornières universalistes : la démocratie n’est pas la paix et si Israel est une démocratie, son joug n’en est pas moins terrible pour les musulmans de la région. Nous participons, de plus, activement à la Conférence de Vienne, censée réunir les bélligérants mais pour le moment aucun des pays impliqués directement dans le conflit n’est venu s’asseoir à la table.

La France devra surtout agir à l’intérieur de son territoire : empêcher la montée du salafisme et du djihadisme terroriste, mais aussi rassurer la communauté musulmane, essentiellement sunnite, qui paie cher le coût de l’extrémisme religieux d’une poignée de fanatiques. Elle devra aussi gérer la crise migratoire, qui risque de s’aggraver. Elle en a, avec l’Europe, les moyens car détrompons nous, nos Etats sont forts et solides et ont des marges de manoeuvres. La solution passera par une politique des frontières européennes qui ne doivent pas non plus être de la poudre aux yeux. Quoi qu’on fasse, une frontière reste franchissable.  Elle devra éviter la paranoïa collective, et la montée de l’extrémisme, ce qu’attend des groupes salafistes comme Daech. La meilleure défense c’est la cohésion nationale et non l’inverse. Cela semble évident mais ce n’est pas simple à faire.

Conflit mondialisé et long 

L’Asie n’est pas encore intervenue dans le conflit. On peut s’en étonner. L’Asie a des intérêts réels dans la région, celui de la circulation commerciale mais aussi le pétrole, notamment pour la Chine. Actuellement, 4 des 5 membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU sont engagés dans le conflit (Russie, USA, G-B, France). La Chine, probablement, finira par rejoindre la coalition, pour défendre le pétrole du Golfe.

Le conflit nous place dans une posture d’observateurs. Il sera long, peut-être 20 ans. Il invite à un redécoupage des zones d’influences. Il faudra compter avec les Kurdes. Cela conduira peut-être à la création d’un Kurdistan. Il faudra aussi compter sur les sunnites, pourquoi pas la création d’un Sunnistan, ce qui calmera les revendications des groupes sunnites dans la région. La zone sera en tout cas totalement transformée : la Syrie et l’Irak ne seront plus jamais ce qu’elles étaient. Le Liban et les petits Etats du Proche-Orient risquent de tomber (La Jordanie souffre d’afflux de migrants qui sont énormes par rapport à ceux en Europe et fait face à une crise humanitaire). La Péninsule Arabique est menacée. Le Pakistan et l’Afghanistan risquent aussi de tomber dans des affrontements terribles, déjà en cours. L’Inde fera peut-être quelque chose. Seuls des pays très solides comme la Turquie, Israel, l’Egypte, Les Emirats Arabes Unis et l’Iran devraient tenir. Le reste est sujet à caution. Le sunnisme est malade. Gangréné par le salafisme, il faudra du courage pour parvenir à stopper l’hémorragie.

Il faudra aussi que des pays lèvent leurs ambiguités. Le cas de la Turquie est primordial. Erdogan est issu d’un parti politique proche des Frères Musulmans. Or, comme nous l’avons vu tout à l’heure, les Frères Musulmans ont une aspiration politique proche de celle de Daech ou du salafisme. Erdogan caresse le rêve d’une Turquie musulmane prédominante, un peu comme l’Empire Ottoman d’autrefois, mais il défend aussi l’Etat moderne et démocratique turc, et a permis quelques réformes dans le bon sens avant de faire plus récemment marche arrière. Il est à la fois kémaliste et islamiste, ce qui est un curieux paradoxe. Quoiqu’il en soit, il ne contribue pas à défaire Daech et se bat surtout contre les Kurdes, ennemi héréditaire et vraie menace intérieure. Doit-on abandonner pour autant les Turcs ? Non. Les Turcs sont stables, ils sont essentiels pour l’Occident. Ils sont membres de l’OTAN et c’est parce qu’ils le sont qu’ils sont moins dangereux pour nous. En effet nous leur offrons un dispositif de riposte nucléaire, des armes, des missiles, de quoi se rendre menaçant pour des rivaux comme l’Iran. Garder la Turquie sous notre influence, c’est donc se prémunir d’une puissance qui pourrait par la suite se retourner contre nous puisqu’elle est dépendante.  L’est de la Turquie, pauvre, est l’enjeu actuel, car les Kurdes et Daech s’en rapprochent et l’instabilité est proche.

Des minorités souffrent terriblement, mais passeront sûrement inapercues dans la table des négociations, c’est le cas des Yézidis, une vieille communauté religieuse monothéiste zoroastrienne, datant de 7000 ans. Les Tchétchènes, musulmans, continuent de souffrir au Sud de la Russie, Poutine estimant que ces potentiels terroristes ne doivent plus revenir dans le pays. Les Turkmènes, soutenus par les Turcs, sont aussi sous le joug russe. Cela explique une partie des tensions entre Turquie et Russie actuellement.

Les perspectives sont donc sombres et incertaines. Il est impossible de présager de l’avenir de la région, dans un conflit qui concentre toutes les préoccupations internationales et qui risque de s’éterniser. Le sunnisme est mal au point, puisque le djihadisme terroriste pollue tous les pays musulmans du monde à présent, du Maroc à l’Indonésie. La France, doit rester prudente et observatrice, réfléchir avant d’agir car le risque d’y laisser des plumes est réel. Ce conflit rappelle nos vieilles guerres européennes, jeu d’alliances, guerre de position, avec une étrange modernité, celle de propagande, des réseaux sociaux, au service d’idées bien souvent moyennâgeuses. 

Quoi qu’il en soit nous sommes dans une guerre complexe où les alliances fluctuent selon les intérêts, où les échelles changent constamment. On ne peut pas regarder le conflit d’un seul côté. On ne peut pas non plus considérer qu’il y ait deux blocs immuables. C’est un mikado géant en perpétuel mouvement. On le voit bien : la France soutient l’Arabie qui soutient Daech. Mais la France combat Daech et Daech risque de se retourner contre l’Arabie. La Turquie est membre de l’OTAN, mais elle ne combat pas Daech, les Russes détestent les Turcs mais on se rapproche de la Turquie et eux-mêmes négocient entre eux. L’Iran devient notre allié mais nous combattons son allié syrien, Bachar El-Assad. Ce conflit exprime tous les paradoxes de la diplomatie et des conflits d’intérets. Voilà pourquoi il est nécessaire de sortir de nos ornières habituelles pour faire le point. 

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La question du vocabulaire

Il faut savoir utilise les bons termes pour évoquer le conflit. La confusion qui règne sur les mots entretient également une confusion sur les enjeux du conflit. Voici un aperçu de quelques mots clés.

Sunnisme : branche majoritaire de l’Islam. Le wahabisme de la péninsule arabique et qui a donné le salafisme, islam des djihadistes (dont Al-Quaida ou Daech) est une branche radicale – au sens, fondamentaliste- du sunnisme. Le sunnisme modéré, comme dans les pays du Maghreb ou au Liban ou en Syrie est celui que l’on retrouve en France. La Turquie également est sunnite, tout comme les pays du Golfe.

Chiisme : seconde branche de l’Islam, présente en Perse (Iran, Iraq) et dans d’autres pays.

Wahhabisme : branche dissidente du sunnisme au 19ieme siècle qui se solda par la prise de la Mecque, et par une condamnation du mouvement par le sultan ottoman de l’époque. En effet le sultan, par définition, est calife. Le calife entend régner sur l’ensemble des musulmans et cela se traduit par la possession des lieux saints de l’Islam, notamment Médine et La Mecque mais aussi Jérusalem. Cette notion de califat est essentielle pour comprendre les mouvements djihadistes actuels – Bagdani, le leader de Daech, s’étant autoproclamé calife. Le mouvement Wahhabite fut d’abord rejeter par les musulmans qui le considéraient comme sectaire. Mais la famille des Saoud, celle qui règne sur l’Arabie Saoudite, et soutenue par les USA pour des raisons géopolitiques évidentes, le pétrole, imposa ce système de pensée à partir des années 50. Le mouvement, on le voit, est paradoxalement très moderne alors qu’il se réclame d’un retour au véritable Islam : charia, femmes soumises, pure invention bien entendu mais qui s’est traduit par des sociétés musulmanes traditionalistes : fin du droit des femmes, ce qui n’était pas le cas auparavant, retour à la polygamie, auparavant rare, et ce genre de choses sympathiques. Ce système de pensée religieuse, étendu par un pouvoir financier considérable, tend aujourd’hui à polluer la pensée sunnite. Les financements de mosquées et de fondations religieuses wahabites et salafistes est un fait. Les riches saoudiens ont en effet souvent achetés des indulgences, suite à des entorses à la loi musulmane, pour financer justement ce système et ce jusqu’au terrorisme. La raison est cependant bien plus pragmatique que la religion, qui est un instrument de domination. Il s’agit de concurrencer l’Iran chiite, rival de l’Arabie et donc de contribuer à la victoire du sunnisme.

Salafisme : Une branche radicale du sunnisme, proche du wahabisme, voire confondu avec lui, centré sur le Coran et la Sunna. C’est le mouvement officiel des groupes djihadistes comme Al Quaida ou Daech.

Djihadisme : Le djihad est une notion religieuse complexe. Il ne s’agit pas de nécessairement faire du terrorisme. Le djihadisme appelle tout simplement à la lutte. La notion est dévoyée par des groupes terroristes islamistes qui l’utilisent pour justifier leurs actions au nom d’une guerre sainte. Le terrorisme islamiste est du djihadisme mais le djihadisme n’est pas nécessairement du terrorisme. Prêcher la guerre ou la lutte, contre un ennemi très divers, en droit, ne suffit pas à faire de soi un criminel. Entre dire et agir il reste une nuance qu’il faut absolument conserver.

Islamisme : c’est la traduction politique de l’Islam. Donc, l’Islam n’est pas l’islamisme. Puisqu’on peut croire par exemple et vivre sous la loi française. Lorsque l’on vit sous une loi islamique, la Charia, on est dans un état islamique et quelque part théocratique (gouverné par des principes religieux). La charia, est cependant très fluctuante et est l’objet d’une instrumentalisation politique et n’est pas si catégorique qu’on le croit.

Charia : ensemble de préceptes qui codifient la vie publique et privé du musulman. Elle varie selon les époques, les religions, les types de confession musulmane. La charia ne prône pas nécessairement la polygamie ou le port du voile. Ce n’était pas le cas jusqu’à assez récemment. L’interprétation de la charia est un donc un enjeu politique pour les islamistes, car un enjeu de pouvoir. On peut ainsi imposer ses vues de la charia à une nation ou un peuple, ce qui peut être terrible si cette intérprétation est radicale (c’est le cas dans le salafisme). Historiquement, la charia n’est pas une nécessité pour les musulmans. L’émergence au 19ième siècle d’un droit civil dans les pays musulmans montre que le musulman peut être croyant sans respecter tous les préceptes de la charia, et en se pliant à des lois nationales étatiques modernes (c’est le cas en Tunisie, au Maroc, etc… et dans de nombreux pays). Pour les salafistes et les islamistes, ceux qui ne respectent pas la charia sont de mauvais musulmans.

Les Frères musulmans : il s’agit d’un mouvement politique, mais surtout d’une société secrète à l’origine avec des organes militaires et politiques. Il s’agissait de promouvoir une renaissance musulmane (Nahda) mais en réalité l’instauration d’un califat. Il est soutenu par des classes moyennes et populaires. Aujourd’hui il a abandonné, officiellement,ses désirs de violence pour souhaiter une démocratie pluraliste musulmane. En Syrie est soutenu par Istanbul où il a son siège et financé par le Qatar et les pays du Golfe, montrant le jeu d’alliance que nous avons décrit précédément. Erdogan, le président de la Turquie actuelle est lui-même issue de cette mouvance au sein de son parti politique. Cela le rapproche, dès lors, de mouvements djihadistes. Pour autant, Erdogan est aussi un réformateur. Il considère, par rapport à d’autres partis des Frères Musulmans que la démocratie et le libéralisme sont comptatibles avec l’Islam. Il est donc un paraxode, qui pourrait se résumer dans la formule suivante : un kémalisme islamiste, c’est-à-dire un état séculaire moderne mais religieux traditionaliste. Les frères musulmans ont été très sévèrement réprimés par la famille Assad, il n’est pas étonnant de les voir aujourd’hui lutter et plus encore être soutenus par la Turquie contre Assad. 

La Ligue Arabe : une organisation sous l’égide de l’ONU qui lie les intérêts de plusieurs états arabes dont la Syrie, l’Irak, l’Arabie…. On en voit tout l’échec aujourd’hui. La Turquie n’est pas dedans car la Turquie n’est pas arabe, arabe étant une ethnie, qui va du Maroc à l’Irak. Les arabes et les turcs dans l’histoire se sont détestés cordialement, sous l’Empire ottoman notamment.

Les Turcs : les turcs sont avant tout un peuple, une ethnie. En cela, ils diffèrent des arabes. Voilà pourquoi si arabes et turcs sont sunnites, de la même branche religieuse de l’Islam ils sont aussi dans un rapport de force et dans une certaine forme de détestation.

Les Arabes : peuple originaire de la péninsule arabique, celle que l’on connaît avec ses tribus et ses familles issues de la Mecque, de Médine, etc… Considéré pendant longtemps comme des barbares aux yeux du peuple turc, durant l’Empire Ottoman en particulier, les Turcs s’estimant civilisé. Aujourd’hui le nationalisme prime sur l’ethnie. Ainsi, si des pays comme l’Egypte sont arabes, ils n’en sont pas moins rivaux avec d’autres pays arabes comme ceux de la Péninsules Arabiques.LChiisme : l’autre branche famille de l’Islam. Bachar El-Assad, à la tête de la Syrie est un chiite alaouite (une branche sectaire du chiisme). Le grand pays chiite est l’Iran, mais on retrouve aussi une grosse minorité chiite en Irak et jusqu’au Liban où le Hezbollah libanais est un mouvement armé chiite et allié depuis longtemps avec l’Iran. Le chiisme et le sunnisme ont souvent conduit à des guerres de religions et c’est encore le cas aujourd’hui.

Soufisme : une des branches de l’Islam considérée comme détestable par les djihadistes de Daech. Elle se fonde avant tout sur un universalisme et une philosophie spirituelle. Elle n’est pas une branche à proprement parlé de l’Islam mais une sorte de mouvement spirituel transcendant.

Parti Baas : socialisme et nationalisme panarabique, c’est à dire la création d’un état arabe laic unifié. En effet, les baasistes pensent que seule la laicité pourra unir les musulmans, ces derniers étant confessionnallement trop  divisés. Ce parti était celui de Saddam Hussein en Irak et de Bachar El-Assad en Syrie.

Alaouites : c’est l’ethnie religieuse dont Bachar el-Assad est issue. Elle est une forme de peuple au sein de la Syrie, montrant encore une fois la complexité ethnique et confessionelle de ce pays. Il se raccrochent au chiisme mais ce n’est pas toujours le cas, ce qui complexifie encore les choses.

Druzes : minorité musulmane hétérodoxe du Mont Liban, une des nombreuses minorités religieuses du Liban. On les trouve aussi en Syrie ou en Israel.

Maronites : chrétiens proches du Saint-Siège, plus forte communauté chrétienne du Liban.

Kurdes : les kurdes sont une nation sans état et probablement le plus grand peuple sans structure étatique (on dénombre entre 30 et 35 millions de kurdes). Ils sont répartis actuellement sur un territoire allant de l’est de la Turquie au sud de la Russie, passant par le nord de la Syrie et de l’Irak. En Syrie, jusqu’à présent ils n’avaient pas de problèmes. En Irak en revanche, ils avaient obtenu suite à l’intervention des Etats-Unis une sorte de région autonome. En Turquie, en revanche, ils ont toujours été détesté par les turcs. Pour en comprendre l’origine il faut revenir aux débuts de la Turquie, c’est-à-dire à la fin de la Première Guerre Mondiale. Les accords Sykes-Picot, qui donnaient à la France la Syrie et le Liban, anciennes régions de l’Empire ottoman totalement détruit et vaincu à la fin du conflit et qui donnaient aux anglais la Palestine et l’Irak avaient aussi prévu un état kurde au sud de la Turquie, le Kurdistan. Seulement, les turcs, sous l’égide de Mustafa Kemal se réunifiaient sous un état moderne, républicain et laic. Ainsi, la Turquie retrouva un peu d’envergure territoriale et les Occidentaux n’eurent rien à dire car l’Etat turc promettait une vraie stabilité. Le problème kurde est donc un problème aujourd’hui non résolu.

Le PKK : Parti des Travailleurs du Kurdistan. C’est un parti marxiste-léniniste classé aujourd’hui comme groupe terroriste par les autorités internationales. Il est l’une des branches armées des nationalistes kurdes au nord de la Syrie mais aussi en Irak et en Turquie. Bien que nous ne l’aidons pas officiellement, ils représentent aujourd’hui une alternative politique en Syrie. Ils sont également soutenus par les Russes. Il est l’un des principaux ennemis de Daech et du régime de Bachar El-Assad. Les combattants kurdes sont appelés Peshmerga, nottament en Irak. On entend souvent ce terme dans les médias.

Les Yézidis : méconnue, cette minorité est en fait une religion à part entière, groupe d’ethnie kurde dont la religion est zoroastrique monothéiste et qui remonterait à 7000 ans. Ils sont la cible d’exaction de toutes parts et de massacres depuis le début du conflit. Les kurdes n’ont pu les aider lors de la prise de Sinjâr, une ville du nord de l’Irak où ils sont très nombreux par l’Etat Islamique.  Leur rôle reste cependant mineur et il est à fort à parier qu’ils tomberont dans l’oubli lors du redessinage de la région.

Al-Quaida : largement connue en Occident il s’agit de la branche armée formée par Ben Laden et d’autres partisans. Si Daech en est la petite soeur en quelque sorte, il est à noter que les deux organisations sont en guerre ouverte et en concurrence. C’est le cas du Front Al-Nostra, apparu pendant la guerre en Syrie et qui s’est battu frontalement avec Daech.

Daech ou EI ou encore ISIS : si, comme Al-Quaida, ce mouvement est un mouvement djihadiste salafiste et qu’il vise aussi l’instauration d’un califat, il est le seul à avoir une vraie emprise territoriale et une administration, une armée et des services publics. C’est pour cela qu’on parle d’Etat Islamique. Etat très riche, il n’en demeure pas moins très contesté. Il vit essentiellement, non pas du pétrole, qui est un marché fragile mais d’exactions, de trafics et de pillages en tout genre (le traffic concerne les armes, les antiquités, la prostitution, la drogue…). Son objectif est de créer un état islamique dont la tête serait un califat, en l’occurrence le calife Bagdadi, un irakien qui avait fait ses armes à Al Quaida. Il ne faut pas croire que les étrangers notamment francais sont le cœur de l’organisation. Ils ne sont qu’une périphérie, les bras armées d’un pouvoir aux mains d’une poignée d’Irakiens. De plus, les attentats de Paris ne sont que de la poudre aux yeux. Si nous sommes les ennemis de Daech c’est que nous nous sommes autoproclamés comme tels. Certes, ils ont affirmé vouloir voir Rome tomber dans un communiqué récent mais ils n’ont en pas les moyens. Nous sommes leur ennemi juré mais ils ont bien d’autres préoccupations car, bien qu’ils haïssent l’Occident, les objectifs de Daech sont d’abord régionaux, éradiquer les mouvements chiites et tous les « faux musulmans »(soufis, etc…), détruire le régime Saoudien, qui, si il l’a vu naître n’en est pas moins le possesseur des lieux saints que l’EI convoite. Daech est un monstre qui échappe à tout contrôle. Il organise son expansion et son traffic sur trois points : l’Arabie, la Turquie et la Jordanie et pour le vaincre il faudrait fermer tous les points de passages. Daech veut aussi atteindre la mer, avoir un débouché sur la Mediterrannée, ce qui serait dramatique, cette mer étant pour l’instant pacifiée.

Sunna : L’ensemble des pratiques de l’Islam dites dans le Coran et appliquées par le Prophète dans sa vie (les Hadith). Ces applications pratiques varient évidement selon les interprétations. La Sunna c’est la base du sunnisme, fondé sur la pratique d’un Islam basé sur les faits et gestes de Mahomet.

Hadîth : recueil des traditions faites par le Prophète durant sa vie. Ces traditions font partis, avec le Coran, de la Sunna.

 

Pour aller plus loin : 

  • Jacques Frémeaux, La Question d’Orient, Paris, Fayard, 2014
  • Albert Hourani, Histoire du peuple arabe, Paris, Point
  • Mohammed Harkoun, La pensée arabe, Paris, PUF, 1975
  • Mohammed Hocine Benkheira, Avner Giladi, Catherine Mayeur-Jaouen et Jacqueline Sublet, La Famille en islam d’après les sources arabes, Paris, Editions Les Indes savantes, 2013
  • Pierre Razou, La guerre Iran-Irak, Première guerre du Golfe : 1980-1988, Paris, Perrin, 2013
  • Syrie : les enfants de la révolution, reportage TV
  • Syrie : les escadrons du djihad, reportage TV
  • Envoyé Spécial – 3 décembre 2015 – documentaire TV
  • De Ben Laden à Daech, aux origines du djihad – documentaire TV
  • Daech, les racines du mal – documentaire TV
  • Une vidéo du Monde qui résume la situation
  • Un article de Rue89 qui complète quelques éléments

3 réflexions sur “Comprendre ce qui se passe en Syrie est essentiel

    1. Malheureusement notre monde est marqué par l’occultisme, le complotisme, les idées toutes faites. Je ne prétends pas, personnellement, détenir la vérité mais au moins je sais encore un peu réfléchir et hélàs Agoravox pullule de gens qui manquent cruellement de sens critique et de culture. Les affirmations pro-Poutine, l’antiaméricanisme primaire, la négation de faits, c’est typiquement l’expression de cette non-pensée.

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